Un mouchoir dans la poche

Un matin, le professeur rentre dans l’amphithéâtre qui est fort bruyant ce jour-là. Il s’approche du groupe dont vient le plus de vacarme.

– “Vous êtes des gros porcs !”

– “Tu ne peux pas tous nous mettre dans le même panier !”

– “Si, vous êtes tous des animaux dégoûtants !”

Le professeur interrompt la dispute : “Que se passe-t-il ici ?”

Une élève un peu en retrait : “Hier, une fille s’est faite violer sur le campus. C’est une bande de gars bourrés et drogués qui ont fait ça.”

Le professeur : “Vous tous, s’il vous plaît, asseyez-vous. Je pense qu’il est important de comprendre quelque chose. Laissez-moi vous montrer quelque chose.”

Tous les élèves se calment et s’assoient dans l’amphithéâtre, attentifs au professeur.

Le professeur sort alors de la poche de son manteau un paquet de mouchoirs en papier. Il en prend deux qu’il déplie sur le bureau devant lui.

“Ceci, mes chers élèves, est la représentation simplifiée de la propension de deux individus aux rapports sexuels ou, en termes plus simples, leurs appétits sexuels.

Oui, nous sommes tous différents, oui, on ne doit pas faire de généralités. Cependant, pour comprendre un peu le monde qui nous entoure, acceptons pour l’instant quelques simplifications.

Voilà notre ‘mâle’.” Le professeur lève bien haut le mouchoir qu’il prend par les deux coins.

“Il est assez basique. Il est pour ainsi dire toujours prêt à avoir des relations sexuelles. Bien sûr, nous allons omettre la phase de sa vie où son sexe n’est pas vraiment utilisable. Disons avant 14 ans et après 80 ans ou la mort. Donc ce mouchoir symbolise un désir quotidien de sexe pendant 66 ans. Pour les curieux, on va dire grosso modo 24 000 désirs. On est bien d’accord que cela varie avec l’âge et les individus. Certains auront peut-être 30 000 désirs et d’autres 10 000. Nous restons dans la largeur du trait du crayon de notre modèle.”

Les élèves sont maintenant tous attentifs, même Charles, qui s’en balance complètement du cours de psycho. Le professeur continue :

“Maintenant, prenons ‘Madame’.” Le professeur pose le premier mouchoir sur la table en prenant soin de ne pas le plier.

“Pour ‘Madame’, donc, c’est bien différent. Tout d’abord, il me faut préciser que je vais maintenant parler d’une demoiselle un peu plus avancée et non pas d’une jeune pucelle qui arpente les rues à la recherche de son ‘mâle’. Mais nous reviendrons aux jeunes tourtereaux après. Et là encore, je vais faire de grosses simplifications et caricatures. Donc ne réagissez pas aux approximations.

Déjà, ‘Madame’ sera peu désireuse pendant la semaine de ses règles. C’est plus des problèmes techniques de fuites, d’irritations ou de douleurs qu’un simple manque de désir. Et je sais qu’au début et pour certains couples même après, cela ne les bloque pas. Mais en général, une semaine sur quatre c’est ‘Niet, nada, no way’. Donc…”

Le professeur déchire un quart du mouchoir et continue devant les élèves qui commencent à comprendre là où le professeur veut en venir.

“Maintenant, toujours en omettant les premiers mois de folies amoureuses, on arrive à la routine. Et là, bien sûr, c’est aussi la faute des hommes qui ne sont plus les gentlemen d’antan. Toujours est-il que si on arrive à un rapport une fois par semaine, je ne suis pas certain de la proportion des fois où ‘Madame’ veut être gentille avec son ‘mâle’. Alors arrêtons-nous sur un septième.”

Le professeur plie le mouchoir en sept puis le déchire pour n’en garder que la plus petite partie.

“Ensuite, la vie. ‘Madame’ a des conditions, des attentes qui, si elles ne sont pas remplies, vont envoyer sa libido dans les chaussettes. Quelle proportion ? C’est très compliqué, mais il faut voir ça dans la perspective de comparer nos mouchoirs. Prenons les maladies bénignes. Cela est à peu près la même chose pour une femme et un homme. Mais le ‘mâle’ est bien moins regardant. Si ‘Madame’ est enrhumée, ‘so what ?’. L’inverse n’est pas trop vrai. Ensuite viennent toutes les disputes, enfants, belle-mère et enfin et surtout les conneries du ‘mâle’. Cette dernière catégorie est peut-être la plus importante.

Pour ma part, je pense que tout cela confondu, nous allons encore réduire ce qu‘il reste pour en garder un quart.”

Après avoir déchiré une dernière fois le mouchoir qu’il tient d’une main bien haute, il vient le poser à côté du grand mouchoir déplié qui est resté sur le bureau.

“Donc voilà la représentation très approximative de la propension de ‘Madame’ et ‘Monsieur’ aux rapports sexuels dans leur vie. Laissons maintenant pour deux minutes ces mouchoirs sur la table.

Il y a un certain nombre d’années, des chercheurs ont fait une expérience sur des rats. Ils ont pris un rat qu’ils ont mis dans une cage avec une sorte de bouton. Pour l’expérience 1, quand le rat presse le bouton, une ration définie et constante de nourriture tombe dans la cage. Dans ce cas, le rat continue sa vie normalement. Maintenant, les chercheurs ont changé l’installation et cette fois le bouton est relié à un système de distribution aléatoire de nourriture. Donc, parfois il aura de la nourriture et parfois pas. Cette dimension aléatoire a eu pour conséquence que le rat s’est mis à appuyer constamment sur le bouton et surtout à manger jusqu‘à en devenir obèse. Cette expérience est utilisée dans beaucoup d’ouvrages pour expliquer les problèmes de dépendance ou encore est utilisée dans certaines industries, comme les jeux vidéo, pour créer une addiction.

Maintenant, reprenons nos deux mouchoirs. Même si les proportions ne sont pas exactes et que dans certains cas les différences peuvent être moindres, il est important de savoir que dans de nombreux autres cas elles seront même pires. Donc vous avez un ‘mâle’ avec son mouchoir qui dépasse de partout, le rat, et ‘Madame’ dont vraiment pas grand-chose ne dépasse, la nourriture.”

“À vous, ‘mesdames’. Vous avez l’impression que depuis des millénaires vous êtes des proies ou des vulgaires bouts de viande ? Cela ne risque pas de changer, sauf si nous changeons l’humain et sa nature ou bien encore notre société. Vous devez continuer à vous battre pour être certaines que l’animal, le rat, qui est dans de nombreux hommes n’ait pas le droit ou l’occasion de s’empiffrer.

À vous, ‘mâles’. Vous êtes tous très différents mais vous avez tous dans votre pantalon un mouchoir qui dépasse. Certains arriveront facilement à le plier de façon à ce qu’il ne soit pas plus grand que le petit bout de papier de votre partenaire. Mais d’autres souffriront parce que le mouchoir est trop grand et que personne ne peut plier un papier plus de 7 ou 8 fois. C’est une loi physique. Par conséquent, vous allez devoir trouver d’autres solutions ou bien vous faire aider. 

Cet exercice est d’autant plus compliqué que vous aurez des périodes de grand vide dans votre vie. La plus évidente sera tous ces moments où vous serez seuls et que vous comblerez ce vide en utilisant la pornographie à l’excès, même au-delà de votre réserve de mouchoirs. Une autre est plus douloureuse, c’est que les jeunes tourtereaux souvent au début, auront l’impression du fait du nombre d’occasions ou de la puissance de la passion qu’ils ont des mouchoirs similaires et tout ira pour le mieux. Mais le temps va avancer et la réalité sauvage reprendra ses droits. 

Donc vous avez raison, on a une forte propension à être des gros porcs. Mais la société, la morale, la raison et l’éducation sont parvenues à contenir cette frustration.”